Au commencement , le premier homme de sa vie était parti , avant sa naissance .
 On lui avait raconté que c'était un aventurier qui passait sa vie sur les mers et les océans dont elle ne connaissait pas le nom .
 Son père s'appelait Ange .
 Il était parachutiste et croate .
 Il n'était jamais revenu , enfin ... pas de cette façon-là: en ouvrant les bras , pour les refermer sur elle , avec des larmes , le long des rides , comme dans les films .
 Ensuite , il avait neigé sur la campagne corrézienne et elle pensait , en regardant par la fenêtre , que ce serait difficile de célébrer les 30 ans de mai 68 ,parce qu'il n'y avait plus de cris de colère ou de coups de foudre .
 On était en mars 98 et tout semblait blanc , anesthésié , sans écho .
 Elle ouvrit le journal et un type écrivait : 
 " trente ans depuis 1968 et tellement rien , peu, tout si lent et faux dur . J'ai presque 50 ans et rien ne s'est passé , sinon tout ce qui m'est passé sur le corps .Moi vrai mou . Même les mots sont las , les mots las sont .
 Je suis mort plusieurs fois mais je regimbe ! "
 Il était écrivain et s'appelait Hervé Prudon .
 Il avait un livre annoncé " les hommes s'en vont " 
 Elle quiita la Corrèze et fila acheter le livre .
 Il était temps de trouver un homme en vie , parce qu'on allait vers le printemps !
 Après , elle ne sait plus ...si , ils se sont rencontrés , métro Odéon , au café , en état d'urgence .
 Contre le silence , l'oubli, les miroirs déformants des jours qui passent et les maux des histoires pas très vraies .
 Même celles qu'elle écrivait .
 Contre l'absence , l'indifférence , le silence .
 Contre l'enfance , parce qu'elle ne dure pas et qu'elle avait tant aimé Peter Pan .
 Les photographies qui s'empilaient dans les tiroirs et se déchiraient si facilement .
 Contre l'exil et les trains de nuit ;
 Contre la mort .
 Alors , elle se mit à peindre les visages qu'elle aimait .
 Pour caresser de nouveau la peau de leurs joues , passer la main dans leur chevelure,lisser leurs rides et gommer leurs peurs , s'ancrer à leurs regards comme si tout cela suffisait à les faire " revenir " 
 Pour qu'on ne les déchire pas .
 Elle disait aussi :" je voudrais faire ton portrait " rapidement, comme une toute petite formule magique et parfois , ça " marchait " .
 Bien sûr , les enfants ne cessaient pas de grandir ;les amants dormaien t ailleurs , dans des villes-filles étrangères , et les vieillards ...
 Mais jusqu'au coeur des inconnus qui passaient quelques instants devant la toile , et demandaient " c'était qui ? " ses hommes allaient et revenaient , de regard en regard , de mémoire en mémoire , éphémères , d'histoire en histoire, même dérisoires , éternels , humains .
 elle avait revu son père , gare de l'Est , après et ils avaient parlé ...de lui .
 Hervé Prudon écrivait à la campagne , avant l'hiver , dans une maison au coeur des bois .
 il lui avait donné un nouveau nom .....
Je ne savais pas qu'on me préparait à ta venue aveuglante .
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