jeudi 23 août 2007

mais tu m'as rendue à mon père ...

Au commencement , le premier homme de sa vie était parti , avant sa naissance .
On lui avait raconté que c'était un aventurier qui passait sa vie sur les mers et les océans dont elle ne connaissait pas le nom .
Son père s'appelait Ange .
Il était parachutiste et croate .
Il n'était jamais revenu , enfin ... pas de cette façon-là: en ouvrant les bras , pour les refermer sur elle , avec des larmes , le long des rides , comme dans les films .
Ensuite , il avait neigé sur la campagne corrézienne et elle pensait , en regardant par la fenêtre , que ce serait difficile de célébrer les 30 ans de mai 68 ,parce qu'il n'y avait plus de cris de colère ou de coups de foudre .
On était en mars 98 et tout semblait blanc , anesthésié , sans écho .
Elle ouvrit le journal et un type écrivait :
" trente ans depuis 1968 et tellement rien , peu, tout si lent et faux dur . J'ai presque 50 ans et rien ne s'est passé , sinon tout ce qui m'est passé sur le corps .Moi vrai mou . Même les mots sont las , les mots las sont .
Je suis mort plusieurs fois mais je regimbe ! "
Il était écrivain et s'appelait Hervé Prudon .
Il avait un livre annoncé " les hommes s'en vont "
Elle quiita la Corrèze et fila acheter le livre .
Il était temps de trouver un homme en vie , parce qu'on allait vers le printemps !
Après , elle ne sait plus ...si , ils se sont rencontrés , métro Odéon , au café , en état d'urgence .
Contre le silence , l'oubli, les miroirs déformants des jours qui passent et les maux des histoires pas très vraies .
Même celles qu'elle écrivait .
Contre l'absence , l'indifférence , le silence .
Contre l'enfance , parce qu'elle ne dure pas et qu'elle avait tant aimé Peter Pan .
Les photographies qui s'empilaient dans les tiroirs et se déchiraient si facilement .
Contre l'exil et les trains de nuit ;
Contre la mort .
Alors , elle se mit à peindre les visages qu'elle aimait .
Pour caresser de nouveau la peau de leurs joues , passer la main dans leur chevelure,lisser leurs rides et gommer leurs peurs , s'ancrer à leurs regards comme si tout cela suffisait à les faire " revenir "
Pour qu'on ne les déchire pas .
Elle disait aussi :" je voudrais faire ton portrait " rapidement, comme une toute petite formule magique et parfois , ça " marchait " .
Bien sûr , les enfants ne cessaient pas de grandir ;les amants dormaien t ailleurs , dans des villes-filles étrangères , et les vieillards ...
Mais jusqu'au coeur des inconnus qui passaient quelques instants devant la toile , et demandaient " c'était qui ? " ses hommes allaient et revenaient , de regard en regard , de mémoire en mémoire , éphémères , d'histoire en histoire, même dérisoires , éternels , humains .
elle avait revu son père , gare de l'Est , après et ils avaient parlé ...de lui .
Hervé Prudon écrivait à la campagne , avant l'hiver , dans une maison au coeur des bois .
il lui avait donné un nouveau nom .....


Je ne savais pas qu'on me préparait à ta venue aveuglante .

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