lundi 9 juillet 2007

Je ne sais pas si nos âmes font l'amour mais quand je m'envague , je dérive toujours vers toi ...

J'ai trouvé ça pour toi en passant par Mondésir , Veules-les-Roses et son nom, apparu en haut d'une page ...nous sommes tellement liés , j'y pensais loin des falaises ...

l'arbre et le lit
je ne sais plus exactement quand j'ai commencé à voyager, mais je sais que je l'ai fait pour échapper à la maladie. Ce fut pour moi le début d'une nouvelle vie et si, aujourd'hui, mes souvenirs les plus anciens s'estompent peu à peu, j'ai en mémoire quelques images inaltérables que je peux feuilleter comme un album de vieilles photographies. Ainsi de ma première escapade, il me reste le décor d'une chambre florentine. Le ciel était bleu, d'un bleu très pur, comme je n'en vis jamais ailleurs. Et, dans ce ciel, un arbre sélevait vers lui en le réclamant. Les branches sans feuilles s'étiraient dans les airs, convulsées d'espérance. Semblant ne pas craindre le vide, elles s'élançaient hors d'elles-mêmes, tendues vers l'extérieur et offraient de multiples bourgeons; nous étions au prntemps. Ou plutôt nous étions le printemps. Je sentais tout autour de moi ses frémissements m'envelopper et me happer. La fenêtre, entrebaillée, implorant l'ouverture, le chant des oiseaux, déjà gonflé d'une puissance prête à éclore et, baignant le tout, une lumière douce et fraîche, offerte par avance auv fureurs de l'été.Tout, en cet instant, était désir, élan irrépressible vers l'accomplissement. Et moi, assis là, au fond de ma chambre, je m'emplissais de ce désir. Désir de me tenir droit à nouveau, désir de voir mes jambes mourantes bourgeonner et se tendre, désir de renaître après un trop long hiver. Et ainsi, mêlant mon désir à celui des éléments, je m'y suis perdu. L'espace d'un instant, le monde et moi, mêlés l'un à l'autre, nous étions le printemps. Fondu dans la nature, en communion avec elle, je pouvais goûter une parcelle de son éternité. Logé au quatrième étage, je ne voyais, par la fenêtre, que la tête de l'arbre. Mais je savais que la place, tout en bas, appelait déjà son ombre de ses voeux.ç'aurait pu être une place de Séville, ou un parc londonien, une fontaine parisienne, ou une ruelle pavée de Lisbonne. ç'aurait pu être n'importe quel endroit où, un jour, un homme a frémi à la vue d'un bourgeon. C'était Florence. Je n'ai pas pris mes béquilles pour m'approcher de la fenêtre- à cette époque, je pouvais encore marcher- j'ai préféré demeurer immobile, par peur de briser le charme, et j'ai écouté la ville. Je n'ai d'abord perçu qu'un brouhaha, dominé de temps en temps par quelques voix de femmes,plus aiguës. Puis, j'ai pu distinguer le bruit des touristes, venus pour voir où être vus. Je devinais les bermudas et les appareils photo, les disputes au sujet du chien qui ne pourrait pas entrer sans le musée et les explications paternelles au sujet de la conversion en lires "mais non, ce n'est pas compliqué" Parfois bruyantes, parfois plus discrètes, au rythme des patrouilles de police, j'entendais aussi l
es harangues des vendeurs à la sauvette cherchant à attirer l'attention. Leur marchandise clinquante, étalée sur des couvertures était prête à être remballée à la moindre apparition des forces de l'ordre, prête, de même, à être réexposée sitôt l'alerte passée. Et puis, il y avait, transperçant le tout, les cris des enfants qui pleuraient pour une glace, ou les sifflets des ouvriers saluant une jupe un peu courte. Je suis resté longtemps ainsi, perdu dans la contemplation de cette ville.C'était mon premier voyage.lorsque je suis rentré, j'ai dû subir à nouveau des soins, et l'arrivée de l'été a coïncidé avec la généralisation de mon mal, l'adoption du fauteuil roulant et l'apparition d'une douleur lancinante à l'abdomen. L'opération passée, j'ai aussitôt pensé qu'il me fallait repartir. J'étais, je crois, encore porté par l'espoir que la maladie serait plus attachée à sa terre natale qu'à mon corps, et qu'elle finirait bien par renoncer à me suivre.Des régions visitées à cet été-là, c'est un petit village du Portugal qui m'a laissé le souvenir le plus prégnant. J'occupais une chambre sous les toits, avec vue sur la place principale. Curieusement, comme à Florence, je ne voyais de la fenêtre que le haut d'un arbre, cette fois chargé de feuilles, et seulement un ciel blanc, écrasé de lumière. La fenêtre grande ouverte, j'étais assis dans mon fauteuil, contre le mur du fond, cherchant en vain un peu de fraîcheur. Comme tout le monde, j'attendais, pour sortit, que la chaleur ait commencé à décliner. elle était si intense à cette heure que le contours de choses, habituellement si rigides, paraissaient hésiter. L'arbre lui-même, pourtant robuste et droit, était devenu flou et semblait renoncer à sa forme pour se fondre avec délectation dans le creuset brûlant du ciel. C'est là que encore une fois, ruisselant de sueur, dissous par le soleil, je me suis répandu moi aussi dans ce bouillonnement universel. Tout à mon abandon, j'ai joui, à nouveau, du plaisir indicible d'appartenir à l'infini;mon corps meurtri s'est désagrégé, emportant avc lui la douleur et le fauteuil roulant et, de la place en contrebas, comme des vapeurs, sont montés les sons de la terre portugaise; Unimmense silence, pesant comme le soleil et, de loin en loin juste pour le souligner, le halètement rauque d'une voiture grimpant la rue du port. Et, derrière, comme pour rythmer le silence, pour l'installer dans le temps, la clameur sourde et régulière de l'océan. J'ai respiré profondément et j'ai goûté son odeur;J'étais vraiment au Portugal, j'étais bien. quelques temps plus tard-je ne saurais être plus précis- tenaillé par des douleurs de plus en plus vives, j'ai dû regagner mon centre de soins. J'appris que la paralysie ne s'arrêterait pas aux jambes, mais finirait par gagner tout le corps. Les médecins les plus optimistes m'ont glorieusement affirmé pouvoir sauver le mouvement de rotation de ma tête. Il est évidemment plus difficile de voyager pour un homme prisonnier de sa paralysie que pour un individu bien portant. Mais c'était devenu pour moi un besoin vital. plis je m'enfonçais dans la maladie, plus il me fallait bouger, comme si je devais gratter quelque titanesque prurit contre la surface rugueuse de la terre. Je suis donc reparti, tant bien que mal.A l'automne, j'ai visité la Chine et le Japon. Là-bas, les feuilles sont lourdes et masquentleur mort prochaine, comme de vieilles femmes trop fardées, sous un doré éclatant; là-bas, les abres rejoignent le ciel et épousent sa courbure. J'ai vu dans ces pays des choses merveilleuses et j'ai pu y connaître l'extase. Mais plus jamais la douleur ne m'a quitté. Elle a traversé mes voyages comme une longue aiguille de souffrance, transperçant chaque image de sa pointe acérée. Sur ce clou effilé, mes souvenirs se sont fichés à la manière de perles multicolores.Pourtant, plus je souffrais, plus je voulais partir loin, plus je voulais partir vite. bien que désormais définitivement alité, j'ai visité plus de pays durant cet hiver que dans ma vie entière. Avec une sorte de frénésie, j'ai parcouru les pays de l'Est et la Russie. Ne marquant plus guère de pauses, j'ai vu les Etats-Unis et le Canada. J'ai sillonné toutes les contrées où les arbres sans feuilles portent des couteaux de givre qui les blaissent dans leur chair. J'ai entendu le crissement des patins qui rayent la glace et les craquements déchirants du gel tenaillant le plus profond des choses. Tout était là, en contrebas. Jusqu'à ce matin de pluie, où ils sont venus me chercher. C'était au cours de l'un de mes séjours à l'hôpital. Ils m'ont soulevé du lit pour m'enmener dans un service de traitement intensif. Pensant sans doute me faire plaisir, ils m'ont, en passant, approché de la fenêtre, pour me permettre de regarder dehors. J'ai vu le haut de mon arbre plonger vers le sol et s'enraciner dans une cour de ciment. il y avait quelques parterres de pelouse et des places de parking réservées aux médecins. il n'y avait plus, il n'y avait jamais eu d'ouvriers italiens ou d'enfants chinois, pas d'océans, pas même une mer.J'ai senti mon collier de perles se briser et se répandre sur le sol, et j'ai pleuré, sachant que je ne pourrais jamais les ramasser;On m'a porté dans une nouvelle chambre, emplie d'instruments étranges. J'ai d'abord cédé au désespoir, pensant devoir renoncer pour toujours aux voyages. Puis, j'ai vu la jardinière, sur la fenêtre. Je l'ai observée longuement. Je sais qu'elle fera l'affaire. J'y devine déjà un bourgeon.
vincent escoffier-( collection page blanche-donnez de vos nouvelles-éditions gallimard-1997-)

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