« Identification d’une protéine auxiliaire des canaux BK contrôlant la tolérance moléculaire et comportementale à l’alcool », titre un article récent du magazine PNAS. Derrière cet enchaînement de termes barbares, une équipe américaine affirme avoir trouvé un des éléments responsables de la tolérance à l’alcool.
On est tolérant à une drogue lorsqu’on peut en absorber des quantités déraisonnables sans en ressentir tous les effets néfastes. Encouragé par cette prétendue résistance, on picole jusqu’à pouvoir s’inscrire à un concours de foie gras contre des oies gersoises. Or, d’après les résultats de l’étude, une des causes de tolérance viendrait du mauvais fonctionnement d’une protéine: le canal BK.
Cette protéine assure le bon fonctionnement des cellules nerveuses. Plantée à travers leur membrane, elle contrôle l’accès à l’intérieur des neurones comme un vigile surveille de ses bras musclés l’entrée d’une boîte de nuit. Rôle de la BK: faire entrer du potassium dans les neurones, ce qui, je vous prie de me croire, empêche ledit neurone de transmettre des messages à tout bout de champ mais uniquement quand le jeu en vaut la chandelle.
La tolérance, une question d’ouverture!
Le résultat est simple: BK fermée, le potassium reste dehors et les messages circulent. Lorsque la BK s’ouvre, le potassium entre et le neurone s’endort. Si un nouveau message survient, la BK se referme et le neurone s’excite. Sauf lorsque l’alcool vient gripper la machine: en se fixant à la protéine BK, il l’empêche de se refermer et les neurones restent assoupis. Le cerveau perd les pédales. Vous êtes saoul.
C’est là que la tolérance intervient. Selon l’étude américaine, certains d’entre nous possèdent des protéines BK un poil différentes de la normale: elles interagissent moins bien avec l’alcool. Les deux pièces du puzzle ne s’assemblent plus, et même si l’alcool s’accumule la BK ne le voit pas et se ferme normalement. Le cerveau continue de tourner même si vous reprenez un, deux voire cinq verres. Vous devenez tolérant…
Les chercheurs ont réalisé leur démonstration en faisant boire des souris après avoir trafiqué leur protéine BK. Contrairement aux rongeurs « normaux », les souris modifiées reprennent volontiers un petit coup si on leur offre le choix, et elles titubent moins en rentrant à la maison! Ces observations permettent de conclure que les souris deviennent tolérantes à l’alcool, tout ça à cause d’une protéine BK qui ne reconnaît plus le danger derrière le canon de rouge.
Je prie les défenseurs ardents de la cause animale de nous faire grâce des commentaires -tout à fait légitimes par ailleurs- sur le martyre subi par les pauvres souris. Ce n’est pas ici le sujet central du débat qui réside, je crois, autour de cette question: la sensibilité aux drogues est-elle liée aux gènes ou à l’environnement?
D’après l’étude du PNAS, il semblerait qu’il existe une part innée. Dans l’état actuel de la recherche scientifique, on peut même dire que les deux paramètres ont leur mauvais rôle à jouer. Explication avec la cocaïne.
Dépendance à la coke: encore une protéine
Dans le même numéro du PNAS -on ne pourra pas dire que les savants se désintéressent de la question- une équipe allemande affirme que la dépendance à la cocaïne peut venir d’une autre protéine: la « protéine kinase de type IV dépendante de la calmoduline/calcium) ». Abrégeons CaMK-IV si vous le voulez bien. Rôle de cette protéine: modifier l’expression des gènes pour que la cellule réponde correctement à tout changement de son environnement.
Les chercheurs allemands ont montré que la CaMK-IV intervient dans la réponse à la cocaïne. Là encore, ce sont des souris qui ont trinqué. L’expérience consistait à leur retirer la CaMK-IV et a montré qu’elles deviennent alors facilement accro à la coke. Elles replongent plus vite que les souris « normales » après une période de sevrage. Pire: si au cours de l’accoutumance on leur apprend à associer un type de cage à la prise de drogue, elles ont tendance à retourner dans la cage « drogue » et à y chercher de la blanche, même après le sevrage…
Munis de ces résultats, les chercheurs ont étudié la même CaMK-IV chez un groupe d’Homo sapiens cocaïnomanias volontaires. Surprise: chez la plupart des sujets accros, on trouve une mutation dans le gène codant pour la CaMK-IV. De là à suggérer que cette protéine ait sa part de responsabilité dans la dépendance à la poudre, il n’y a qu’un pas. Franchi prudemment par les auteurs de l’article, mais faisons-leur confiance: ce n’est pas la première fois qu’une influence génétique dans ce type de comportements est mise au jour.
Des gènes mais pas seulement
Les gènes sont influents, oui, mais pas les uniques responsables! Ne me faites pas dire ce que d’autres pensent. Car on ne devient pas accroc à la coke, à l’alcool ou à Grey’s Anatomy pour une simple histoire de protéines.
Preuve en est cet autre article, dans le PNAS du 4 novembre. C’est une équipe de l’université de Poitiers qui s’y distingue en montrant qu’un environnement « enrichi » permet à des souris (encore elles) de se libérer plus facilement de l’emprise de la coke. On entend par milieu « enrichi » une grande cage avec des jouets, des roues, des tunnels, une litière confortable, des camarades de jeu, bref tout le nécessaire pour une vie heureuse, stimulante et socialement épanouie.
Dans ce cas, les souris une fois sevrées replongent moins dans la drogue. Dans le même test que pour l’étude précédente, si on leur laisse le choix, elles ont moins tendance à opter pour la cage « drogue ». Bref, elles sont moins accro et se soignent plus facilement. De là, l’équipe française conclut qu’un environnement « riche », stimulant, devrait aider les drogués à se libérer de la coke.
On est d’ailleurs surpris qu’une telle conclusion ait encore besoin d’être démontrée. Ça me semblait si évident! Voilà en tous cas quelques pistes à suivre, génétiques ou non, pour comprendre la drogue, l’alcool et les moyens de s’en débarrasser. "
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